Les jeux olympiques approchent. Bien au-delà de Paris, de nombreuses communes de France se mettent à rêver d’exploits, de records… La compagnie les Monts du Reuil n’entre pas dans cette frénésie mais s’en inspire. En résidence à l’Opéra de Reims et aux Trois Scènes de Saint-Dizier, cette troupe qui mêle les arts musicaux, lyriques et théâtraux a prévu de parcourir tout l’été les routes de l’est, de Reims à Aix-la-Chapelle, principalement en vélo. Elle prépare pour cela un nouveau spectacle, autour des 12 travaux d’Hercule. La violoncelliste Pauline Warnier, co-fondatrice de la compagnie, le présente…
Vous préparez pour cet été un cyclo-festival. Comment vous est venue cette idée ?
Pauline Warnier : « L’idée est liée à la fois aux olympiades culturelles et à notre intérêt pour la mobilité douce. Pour réunir ces deux éléments, on a pensé à Hercule. Notre passion, c’est de créer des opéras et l’opéra français a souvent fait appel à la mythologie. Or, le mythe d’Hercule est l’un des mythes fondateurs des jeux olympiques. On s’est dit qu’on allait créer des formes autour de ses 12 travaux. On a passé à Pierre Senges la commande d’un livret pour un opéra mais aussi pour de petites formes qui seront plus adaptées à notre envie de mobilité douce. La mobilité douce, c’est le vélo, mais ça peut être aussi la trottinette ou le train (plutôt le TER que le TGV). »
Ce qui compte, pour vous, c’est la réduction de votre empreinte carbone plus que l’exploit cycliste ?
Pauline Warnier : « Oui. On souhaite réduire notre empreinte carbone, mais on s’intéresse aussi au rayonnement territorial. Les deux sont liés. Moi, je suis Reimoise. Autour de nous, beaucoup de petites communes ont demandé l’agrément « Terres de jeux 2024 », ce qui leur ouvre – en théorie – la possibilité de réunir sport et culture. Ça m’a interpellée. Le sport et la culture ont en commun la notion de performance (qui, dans le domaine du sport, est parfois galvaudée et transformée en compétition) et la notion de jeu. La notion de sport est assez récente. Elle apparaît à la fin du dix-neuvième siècle. Avant, on parlait d’ « activités physiques ». On s’est mis à parler de « sport » au moment où les règles du jeu se sont fixées. J’aime l’expression « jouer d’un instrument de musique ». On réunit toutes ces notions pour co-construire des formes festives autour de valeurs partagées. »
Vous évoquiez le dix-neuvième siècle. Aujourd’hui, le sport est devenu une véritable industrie (500 milliards de chiffre d’affaires annuel pour les seuls articles de sport) qui se fait le vecteur dans la société de valeurs telles que la compétition et un certain individualisme. L’opéra que vous préparez pour 2024 en parlera ?
Pauline Warnier : « On essaie toujours de traiter les sujets forts, les sujets difficiles, par le biais de la légèreté et de l’humour. On ne tape pas à coups de marteaux sur la tête des gens mais on fait de petits détours, de petites blagues pour essayer de faire prendre conscience. Le livret est drôle. Parfois, il se moque un peu des sportifs. On ne va pas applaudir la toute-puissance d’Hercule, qui arrive à vaincre une à une les épreuves que sa belle-mère a imaginées. Quand on travaille sur La Fontaine, sur la mythologie, on aborde toutes sortes de sujets, comme le féminisme. C’est compliqué de parler de féminisme. Tout de suite, on se sent guerrières. Ce n’est pas du tout ça. On veut juste exister comme on est. Du coup, on essaie d’aborder ces sujets par la douceur ou par l’humour, plus que par les slogans tapageurs. »
Avec vos vélos, vos trottinettes et vos TER, vous allez à la rencontre d’un public qui fréquente peu l’opéra. Est-ce une démarche qu’un plus grand nombre de vos confrères devrait adopter ?
Pauline Warnier : « Je crois qu’on y réfléchit tous… On a plusieurs problèmes à régler pour cela. Jouer une symphonie de Beethoven ou un opéra de Rameau, c’est formidable mais ça coûte très très cher. Il y a des œuvres qu’on adore mais qu’on ne pourra jamais apporter au plus grand nombre. Il faut qu’on biaise. On essaie de biaiser avec talent, d’inventer des spectacles ou des concerts qui auront la même puissance mais on est obligé de laisser de côté les grands chefs d’œuvre. C’est compliqué mais on est nombreux à travailler ainsi. »
L’écologie est l’une des valeurs fortes de votre compagnie ?
Pauline Warnier : « Les valeurs de notre compagnie, ce sont nos valeurs à nous. Je vois autour de moi des comportements qui me semblent inadaptés et j’essaie juste de les faire changer. Sortir un violoncelle en pleine rue et jouer tout à coup une pièce de Bach, c’est un acte fort, qui, pourtant, pour moi, est simple. Nous essayons de multiplier ces gestes simples. Faire du vélo, c’est simple ; c’est ça que je veux montrer. C’est un peu bizarre, parce que c’est un peu comme le féminisme : ça devrait aller de soi. Ce sont des valeurs que nous portons et que nous sommes parfois désespérées de ne pas pouvoir porter mieux. »
Photo de têtière : François Mauger
Pour aller plus loin... Le site web des Monts du Reuil