Enfermez les artistes, leurs œuvres se libéreront. Telle semble être l’une des leçons des confinements de 2020 et 2021. 2022 a en effet vu fleurir nombre de projets orientés vers les grands espaces qui avaient germé à l’ombre du Covid. Refuge, le nouvel album de Toh Imago, indique que 2023 poursuit dans la même direction. Le musicien, déjà auteur en 2019 d’un disque qui racontait la mine et ses machines, Nord noir, publie un deuxième opus infiniment plus solaire, en grande partie enregistré dans la forêt de Mormal, le plus grand massif forestier du département du Nord, le seul, notamment, à encore abriter des cervidés. Il explique pourquoi…
Comment la forêt de Mormal est-elle devenue le personnage principal de votre nouveau disque ?
Toh Imago : « Cela vient de l’invitation des Nuits Secrètes, le festival d’Aulnoye-Aymeries, dans le Nord. Ils réfléchissaient à inviter des artistes en résidence. Je commençais à préparer un nouvel album, qui partait vers cette idée de refuge et d’immersion. J’avais déjà dans le coin de la tête l’idée d’utiliser la forêt comme un élément central de l’album. Comme la forêt de Mormal est juste à côté d’Aulnoye-Aymeries, avec mon ingénieur du son, Olivier Vasseur, on est parti là-bas. On a d’abord enregistré la forêt. Puis on a emprunté une grosse enceinte et on a envoyé nos sons dans la forêt. Le but était de se sentir immergé dans ce lieu et de profiter d’une réverbération naturelle qu’il n’est pas possible d’imiter aujourd’hui avec des réverb’ numériques. Cette réverbération est très spécifique au lieu. Sur ce disque, les machines rencontrent la vie, cela donne un peu d’imprévu. »
On entend donc la forêt de deux façons…
Toh Imago : « En fait, dans l’album, on entend quasiment constamment la forêt en fond. Il y a juste un passage au milieu où on s’en éloigne mais on y revient à la fin. Il y a deux couches : celle de la machine et, superposée sur elle, celle de la forêt. »
Qu’est-ce que ça change de travailler ainsi ?
Toh Imago : « Déjà, c’est super cool de sortir du studio et de voir la lumière… Ça amène une certaine incertitude. C’est quelque chose qu’on ne peut pas contrôler. On ne sait pas ce qu’il va se passer. C’est une idée que j’avais mais je ne savais pas ce que cela allait donner. Par chance, ça a marché. Ça rajoute un temps de travail : je prépare les morceaux en amont et, ensuite, je reviens en studio pour mélanger tout ça. On joue alors avec tous les éléments qu’on n’a pas maîtrisés : les oiseaux, le vent, une tronçonneuse même au loin (parce qu’il est très dur de s’éloigner de l’activité humaine). Ça permet de repenser les morceaux et ça donne une espèce de recul différent, une profondeur différente au travail. »
Y a-t-il un message sous-jacent, une invitation lancée à vos confrères pour qu’ils sortent eux aussi de leur studio ?
Toh Imago : « C’était mon envie mais chacun a sa façon de faire de la musique… Je pense que, dans la musique électronique, s’inspirer de la nature, c’est quelque chose qui se fait de plus en plus. Le field recording s’adapte très bien à la musique électronique. Molécule travaille beaucoup autour de ça. NsDos était carrément allé mettre des capteurs dans la forêt. Ce sont des initiatives qui existent et que je trouve hyper riches. C’est une direction qui m’intéresse : ne pas se limiter à la vie des machines mais intégrer la vie, la vraie ! »
Pourquoi avez-vous choisi d’accorder toutes les machines de l’album en La à 432hz, plutôt que le La à 440 Hz, en vigueur presque partout ailleurs ?
Toh Imago : « Il m’a semblé que c’était une suite logique. Il y a beaucoup de théories ésotériques à ce sujet et je reste sceptique à leur égard mais je trouvais tout de même intéressant de se mettre au diapason avec la nature. J’ai essayé de faire en sorte que tout se mélange parfaitement. C’est subtil mais ça donne une tonalité différente à l’enregistrement. J’aime bien aussi me lancer des défis. Ce n’est pas forcément simple parce que les machines ne s’adaptent pas toutes facilement. Pour les vieilles machines numériques, c’est compliqué. Mais ça en vaut la peine : si on envoie des sons dans la forêt, autant être accordé. »
Pourquoi avoir appelé cet album « refuge » ? Quand on cherche un refuge, c’est qu’on a peur de quelque chose…
Toh Imago : « J’ai commencé à penser à cet album à l’époque du premier confinement. Faire et écouter de la musique était à cette époque une espèce de refuge à l’anxiété ambiante. L’autre refuge, pour moi qui habite à la campagne, en Picardie, c’est la nature. Pendant le confinement, tout le monde a pris conscience de ce qu’il se passe dehors. Il y a eu une espèce de reconnexion générale. Voir les arbres fleurir, faire des balades… La nature et la musique m’ont permis de me sentir pas trop mal dans ce marasme. Comme j’avais l’impression que le climat ambiant n’irait pas en s’améliorant, l’idée du disque était de recréer, de retranscrire le refuge qui m’avait été donné, de façon à l’offrir à d’autres gens. »
Photo de têtière : François Mauger Portrait de Toh Imago : Martine Keller
Pour aller plus loin... La page web sur laquelle le label Infiné présente Toh Imago La page web de l'ONF qui présente la forêt de Mormal