Et de 7 ! Les quatrièmes rencontres toulousaines des événements responsables se sont terminées, fin novembre, par la labellisation « événement éco-responsable en Occitanie » d’une belle poignée de festivals : celui de Thau (Hérault), Détours du monde (Lozère), Ecaussystème (Lot), Watt the Funk (Gard), What a Trip (Hérault), Toulouse les Orgues (Haute-Garonne) et Emergences (Gard). Ce dernier a un positionnement des plus particuliers : il se consacre à la célébration de l’eau en musique. Sa fondatrice, Sabine Châtel, explique à quel point il s’agit d’un projet personnel…
Pourquoi avez-vous fondé un festival sur la thématique de l’eau ?
Sabine Châtel : « C’est une longue histoire… J’ai fait partie des victimes d’une inondation qui a lieu en 2002 dans le village où j’habite, Aramon. Il y a eu 5 morts dans le village, dont ma mère. J’ai dû vivre un deuil lié à cette catastrophe. J’ai appris ce que c’est que d’être sinistré, ce que c’est qu’un village où tout le monde pleure un proche, ce que c’est d’avoir presque tout perdu, ce que c’est de ne plus avoir de maison… Cela a été un épisode très marquant de ma vie. En même temps, je travaillais déjà dans la musique et j’étais déjà allée en Syrie et au Moyen-Orient, où j’avais découvert les problématiques de pénuries d’eau : comment vit-on lorsqu’on n’a de l’eau que deux heures par jour ? Ces deux questions, celle du trop et celle du pas assez, je les ai affrontées il y a une vingtaine d’années. Par la suite, à plusieurs reprises, dans des discussions avec des musiciens, avec des artistes, est revenu le thème de l’eau. Les artistes qui habitent au bord de l’eau, ceux qui vivent dans le désert, tous finissent par en parler… Enfin est arrivée la pandémie. J’ai été confinée dans la maison de ma mère, où je suis revenue vivre. L’idée de créer ce festival était là depuis longtemps mais je n’avais jamais eu le temps de me poser pour y réfléchir. Ce n’était jamais le moment. Pendant le confinement, je me suis rendue compte que cela allait faire 20 ans que l’inondation avait eu lieu, que la pandémie était elle aussi en lien avec le dérèglement climatique (à l’époque, en 2002, personne ne faisait le lien entre la catastrophe et le climat ; aujourd’hui, c’est une évidence)… Je me suis dit que le moment était venu de créer le festival, d’interroger les scientifiques et les artistes sur notre rapport à l’eau et de le faire dans ce village qui, entre temps, est devenu un lieu magnifique. Pendant la pandémie, je marchais tous les jours dans le village et je me demandais où je me sentais bien, où je pourrais faire un concert… Je suis allée voir la Mairie fin 2020 et ils m’ont répondu « Pourquoi pas ? ». »
L’eau est assez rarement le sujet de chansons. Comment avez-vous sélectionné les artistes ? Et quel rapport sont-ils parvenus à établir entre musique et eau ?
Sabine Châtel : « Il y a des chansons qui parlent de l’eau, il y en a même énormément ! Quand tu commences à creuser, tu en trouves beaucoup. Il y a quatre ans, par exemple, Ariana Vafadari, une artiste avec qui je commençais à travailler, m’a dit qu’elle avait écrit des chansons pour Anahita, la déesse de l’eau en Mésopotamie. C’est un tel problème là-bas, l’eau, qu’ils en ont fait une déesse. A partir de là, un musicien qui habitait sur un bateau m’a dit « Dès que j’écris, je parle de l’eau ». Un autre m’a parlé de La mer de Debussy, de celle de Trénet ou de Water Music de Haendel. L’eau, dans le monde du sacré, c’est aussi le baptême ; dans le gospel, par exemple, il y a toujours une référence à l’eau. Donc, pour cette première édition, on a ouvert avec la déesse de l’eau, Gérard Kurdjian a dit des textes en lien avec l’eau issus des poèmes mystiques du monde entier et on a terminé avec du gospel (« Down to the river to pray »…). Au milieu, il y avait des artistes qui sont littéralement dans l’eau ; l’eau est leur espace de jeu. Jérôme Hoffmann, qui est compositeur de musique électronique, a pour sa part enregistré le son de l’orage, d’une rivière ou d’un barrage pour une « sieste climatique ». Un spectacle pour enfants, qui s’appelle « Loéla », avait lieu pendant que les adultes assistaient à une conférence sur la question du partage de l’eau. Le festival explore en fait tous les styles : le jazz, la musique contemporaine, la musique classique… Actuellement, je reçois de nombreuses propositions. Lionel Belmondo souhaite, par exemple, reprendre le Jeux d’eau de Ravel. Les idées ne manquent pas. »
Le Festival vient d’être labellisé « événement éco-responsable en Occitanie ». Qu’est-ce que cela va changer pour vous ?
Sabine Châtel : « Pour moi, rentrer dans la démarche de l’éco-responsabilité était une évidence. L’idée, c’est d’attirer l’attention du public, des locaux (placer ce festival en septembre, à la date des inondations, était un signe adressé au public local) sur cette ressource, ce bien commun. L’eau est un problème sur notre territoire. Ce problème est lié à la transition écologique. Je voulais donc créer un événement qui serait un événement de demain, et pas un événement du passé, un événement qui prend déjà en considération le fait que nos modes de vie vont changer. En fait, ils ont déjà commencé à changer. Pendant la pandémie, on a commencé à changer. On a cessé de bouger, on a consommé autrement… Comment va-t-on vers demain ? J’ai découvert qu’il y avait un projet de label au niveau de la région. Ça m’a permis de travailler avec d’autres personnes, de voir où en étaient les autres… L’intérêt de tout ça, c’est l’exemplarité. On peut montrer que ce n’est pas si difficile. Le label est destiné aux événements, pas aux seuls festivals. A long terme, il devrait s’appliquer à des événements sportifs, à des fêtes de villages… Il faudrait que l’organisateur d’une kermesse se dise « On ne va pas proposer que des burgers ou des poulets rôtis, on va aussi faire de bons plats végétariens ; on ne va pas distribuer des bouteilles en plastique à tout le monde ». On peut même se passer des gobelets en plastique réutilisables. J’ai conçu le festival en m’appuyant sur toutes ces notions. Je ne suis pas allée créer un deuxième village, je me suis servie du village existant. J’aime l’idée du « soutenable » (« durable » est une mauvaise traduction de « sustainable development »). Faire venir 10 000 spectateurs dans un village de 4 000 habitants, ce n’est pas soutenable. Les gens des villages voisins sont venus ; ils ont mangé dans les cafés du village, avec la vaisselle de ces établissements ; les tables rondes avaient lieu sur la place du village. Penser en termes de « soutenabilité » t’évite de dépenser des mille et des cents pour des postes inutiles, tu fais travailler les gens du village, tu te concentres sur ce que tu veux raconter, pas sur l’habillage. »
Photo : François Mauger
Pour aller plus loin... Le site web d'Emergences, festival de l'eau Le site web d'Elemen'Terre, l'association qui regroupe les événements éco-responsables d'Occitanie