Tel le camion qui orne la pochette de son deuxième album, Luuma, le Sénégalais Sahad déborde d’idées. Sa musique dépasse de tous les côtés : funk tropical sur le flanc droit, kora cristalline sur le gauche, cuivres en avant, guitares folk à l’arrière… Le tout tient en l’air grâce à un art de l’arrangement qui tient du miracle. Mais les idées de Sahad ne sont pas uniquement musicales. Ce frère cadet de l’économiste Felwine Sarr a monté un écovillage dans son pays et créé son propre label, Stereo Africa 432. Il décrit ici son rapport à l’écologie…
Dans Mba, vous évoquez la place que l’homme devrait occuper dans la nature. Quelle vision en avez-vous ?
Sahad : Dans Mba, que j’ai écrite dans l’écovillage de Kamyaak, je me questionne : « Que devrait-être la place de l’homme face à cette nature, telle qu’elle lui a été léguée ? Sommes-nous les démons de cette nature ou devrions-nous être les anges protecteurs de ce vivant, de cette nature que nous avons découverte ? ». Nous nous servons de cette nature sans la préserver, nous l’utilisons sans dialoguer avec elle. Il y a une conscience collective depuis de nombreuses années, des mouvements qui se sont levés pour dénoncer ça, en essayant d’apporter des solutions concrètes. Mais nous en sommes encore loin. Peut être que les générations à venir auront une véritable conscience écologique, ancrée et durable…
Au-delà de ce titre, quelle est la place de l’écologie dans votre nouvel album, Luuma ?
Sahad : « Luuma » signifie le marché hebdomadaire itinérant. À travers cette image du marché, je propose une mondialisation équilibrée où chacun trouve sa place, où l’écologie aussi peut s’asseoir à la table pour parler, car elle est centrale dans la chaîne de la mondialisation. Je parle d’une écologie globale, d’une écologie spirituelle d’abord. Dans mon album, la plupart des morceaux questionne cette écologie spirituelle, ce rapport à la paix intérieure, cette terre intérieure qui devrait être labourée et fertilisée. Je parle d’un chaos anarchique non-équilibré, mais je parle aussi de la beauté d’une anarchie organisée, où tout le monde a sa place.
Votre album a-t-il été enregistré dans l’écovillage que vous construisez ?
Sahad : Certaines voix et rythmiques de guitare ont été enregistrées dans cet écovillage, dans les éco-domes qui ont été construits avec de l’argile et du sable, mais tout l’album n’a pas été enregistré au village. Kamyaak village est un projet de vie, de retour à l’essentiel, de retour aux techniques agro-écologiques endogènes. On définit ainsi notre vision du développement local, culturel, environnemental et spirituel. Nous nous concentrons sur le travail et le développement des ressources qu’il y a dans notre propre environnement, afin de construire un vivre-ensemble, un havre de paix, fondé sur le respect de l’homme et de ce qui l’entoure, loin de l’idéologie urbaine démesurée et capitaliste.
Pour vous, existe-t-il un lien entre l’immigration des jeunes Africains et le changement climatique ?
Sahad : Les conditions climatiques ont toujours poussé à la migration, vers un ailleurs où on peut mieux cultiver, avoir accès à l’eau. L’agriculture intensive, cette monoculture, a poussé à l’appauvrissement des sols. L’agro-business, avec ses machines de haut niveau et l’utilisation des pesticides, a tué la majeure partie des petits producteurs locaux chez moi. Le changement climatique a profité aux plus favorisés. Pour les plus démunis, ce contexte les a poussés à aller chercher d’autres moyens de subvenir à leurs besoins, d’où cet exode rural et cette immigration. Le changement climatique et le système capitaliste sont deux des raisons de cette affluence migratoire, aussi complexe soit-elle. La solution pour moi, c’est déjà de réduire l’inégalité, de donner la possibilité aux gens de trouver dans leur zone des outils adéquats à leur environnement. Si l’homme vit bien chez lui, a-t-il besoin de partir ailleurs pour chercher son gagne-pain ? Le pillage des ressources des terres, le manque d’outils de travail et l’absence de perspectives pour la jeunesse doivent cesser. Il existe une vraie jeunesse créative et courageuse, qui a juste besoin d’outils concrets…
Photo de têtière : François Mauger