On peut aimer la nature sans détester son époque, se passionner pour le mode de vie des Amérindiens autant que pour les dernières tendances du rap.
C’est en tout cas ainsi que vit Nicholas Galanin.
Sous ce nom, le jeune homme originaire de l’île Baranof, au large de l’Alaska, est l’une des valeurs montantes de l’art contemporain, dont les œuvres dénoncent les dommages causés à la terre par le capitalisme sans entraves.
Sous le nom de Ya Tseen (« être vivant », en langue tlingit), il publie Indian Yard, un album résolument ancré dans l’histoire la plus récente des musiques urbaines, hérissé de collaborations avec des figures prestigieuses de la pop d’aujourd’hui (Portugal The Man, un groupe également originaire de l’Alaska) ou du hip hop (Shabazz Palaces, Nick Hakim, Tay Sean, Qacung…).
L’ensemble est séduisant. Arrangeur astucieux, Nicholas Galanin sait parer un refrain contemporain d’une atmosphère décalée, puisant des idées chez des maîtres millésimés, probablement Sly & the Family Stone ou Prince. Résultat : un titre tel que Close the Distance reste en tête plusieurs jours.
Ce sont pourtant d’autres titres, plus réfléchis, qui retiennent l’attention. Sur Light the torch, Ya Tseen prie ses proches de ne pas s’éloigner du combat. We just sit and smile here in silence rappelle qu’en perdant leurs traditions, les Amérindiens perdent leur force (They were singing songs when the roses were red / Forgot the poems when the pedals had shed). Gently to the sun est un tableau hallucinant du « cauchemar » que les États-Unis ont été ces dernières années. Lorsqu’on lui demande s’il pense que la situation va changer en Amérique du Nord, maintenant que Donald Trump (qu’il nomme le « politicien qui a construit le mur frontalier ») est parti, l’ami de Tanya Tagaq se montre pessimiste : « Non, la violence de l’Etat peut prendre d’autres formes et se poursuivre quelle que soit l’administration » répond-il. « Nous l’avons appris quand Obama n’a pas réagi aux violences à l’encontre des Sioux de la tribu Standing Rock qui s’opposaient à un projet de pipeline dans le Dakota du Nord ».
« Dans ma communauté, nous menons un combat pour la protection du hareng, une espèce clé qui a non seulement un intérêt culturel pour nous mais aussi une grande importance pour la santé de l’océan et de toutes les espèces avec lesquelles nous la partageons » ajoute l’artiste à demi Tlingit, à demi Unangax̂. « La surpêche, les pipelines qui se dirigent vers le littoral canadien sont également des choses qui devraient nous alerter » indique-t-il également. Et si le prochain album s’en faisait plus largement l’écho ?
Image de têtière : Cénel et Claire Fréchet