Les feux de forêt qui ont ravagé l’Amérique du sud en 2019 ont marqué les esprits. Notamment en France, où trois projets discographiques évoquent en même temps les Amérindiens du Brésil et de Colombie.
Jean-Michel Jarre publie Amazonia, la bande-son d’une exposition de photographies de Sebastião Salgado à la Philharmonie de Paris. Tandis que le Brésilien entreprenait un nouveau voyage dans le nord de son pays, s’installant plusieurs semaines dans les villages de dix groupes ethniques, le compositeur d’Oxygène et d’Equinoxe explorait les fonds d’archives sonores du Musée d’Ethnographie de Genève. Amazonia dépeint donc une forêt de rêve, énigmatique lorsque Jean-Michel Jarre s’entiche de musique concrète, pétillante lorsque lui revient l’envie de ritournelles électroniques.
Retour à la réalité la plus crue avec Gojira, l’un des groupes de death metal les plus renommés de la planète. Les quatre Landais ont également intitulé leur nouveau titre Amazonia mais les images qui l’illustrent sont bien moins impressionnistes : arbres abattus, forêt en flammes, Amérindiens en mouvement… La sortie de clip accompagne une récolte de fonds au profit de l’organisation non-gouvernementale The Articulation of Indigenous Peoples Of Brazil (APIB).
Le Marseillais Harold Boué, alias Abstraxion ou Lion’s Drums selon l’esthétique de ses productions, n’est pas allé en Amazonie mais dans les Andes, à la rencontre des Amérindiens kagabas de Colombie. L’idée lui est venue en écoutant une émission de France Culture à leur propos, « Les pieds sur terre ». Le discours du porte-parole de ce peuple l’a touché. « Il disait qu’à partir de maintenant, il avait envie de transmettre ses savoirs aux autres » se souvient-il. « En me renseignant, j’ai appris que les chants étaient très importants dans sa culture, que tout était transmis de façon orale. Dans un premier temps, j’ai envoyé un message à Franz, l’un des responsables de l’association Nativa [NdA : association écologiste colombienne], en lui proposant de venir enregistrer ce que les Kagabas avaient envie de transmettre. Franz a transmis mon message. Il y a eu une réunion. Les Kagabas ont accepté, à condition que je ne reste pas plus d’une semaine et que j’enregistre des chants spécifiques. »
Voilà comment un compositeur de musique électronique reconnu, qui alterne d’ordinaire morceaux taillés pour les clubs et plages d’electronica plus méditative, se retrouve à tendre un micro à un « Máma » amérindien. « Le Máma est le chef intellectuel et spirituel des villages » explique-t-il. « Le chant est sa spécialité. Son savoir se transmet de Máma en Máma. Pratiquement chaque titre de l’album est un chant. Sauf Water, qui capture l’ambiance de la montagne, et Music from memory, qui représente un échange entre un père et son fils : ils parlent ensemble et se remémorent les chants qu’ils connaissent. Les autres morceaux sont dédiés à des animaux. Il y a le chant du singe, le chant du serpent… Ces chants soulignent l’importance de la connexion avec la nature. Les Kagabas vivent en équilibre avec ce qui les entoure. Leurs chants sont des manières de montrer leur respect pour les animaux, de montrer qu’ils veulent vivre en paix avec eux ».
Kagabas n’est pas pour autant un disque d’ethnomusicologie. Le producteur a plongé dans ses machines les sons qu’il a rapportés. Puis il a souligné un rythme ici, orné ailleurs un discours d’une envolée synthétique, passant du cotonneux au dansant (le revigorant Deer) sans jamais perdre le contact avec les montagnes colombiennes. « Le paysage sonore est le fil conducteur de l’album » reconnaît Harold. « Je voulais garder l’authenticité et l’entièreté des chants, puis y ajouter des touches fines de composition. Les enregistrements d’ambiance que j’ai pu faire là-bas constituent le lien qui me permet de raconter l’histoire des Kagabas. Un jour, on marchait dans la montagne avec le Máma et on a entendu un grand singe au loin. Le Máma s’est mis à chanter. Cela a donné Alouatta (hembra), qui parle des singes. Tous ces sons sont au centre de la narration. »
« J’ai essayé de m’effacer le plus possible. Je n’étais qu’un invité, je ne voulais pas perturber leur équilibre » conclut-il. « Ce qui comptait, c’était la responsabilité que j’avais accepté : transmettre leur savoir. La transmission de la mémoire est importante pour eux, ils ont peur qu’elle se perde. Il est important leurs chants, comme il est important de les écouter quand ils nous disent : « Votre système atteint ses limites. Notre terre, la Sierra Nevada, est tout pour nous. On veut continuer à vivre en paix avec les animaux et tout les êtres qu’on aime autour de nous ». Au fond, cet album n’incite pas au voyage mais plutôt au respect et à l’écoute mutuelle. »
Photos : Lion's Drums
Pour aller plus loin... La page Bandcamp de Lion's drums Le site de l'association Nativa Le site du Musée d'Ethnographie de Genève, qui se pose de passionnantes questions sur ses collections